Un mouton fripier, des élèves de l’école de la République, une scène d’adieu paternel, le portrait en citoyen du monde d’un oncle adoré, un groupe de sapeurs, un couple mixte sous les réverbères parisiens, des migrants africains en « route vers le paradis »… l’artiste Francis Essoua se raconte dans des toiles monumentales, mondes radieux et bigarrés peuplés de personnages stylisés, où le motif est roi et l’imaginaire mène la danse.
Né en 1989 au Cameroun, Francis Essoua, dit Enfant Précoce, arrive en France à l’âge de neuf ans où il deviendra danseur, avant d’accéder à la peinture en 2013 par le biais de son amour pour la mode. Dès le départ, sa pratique est dominée par des couleurs éclatantes et des motifs ornementaux, ceux qu’il glane dans son quotidien et ceux qui le ramènent aux tonalités ardentes de son enfance sur la côte camerounaise. S’exprimant d’abord par l’abstraction, Enfant Précoce se tourne rapidement vers le figuratif. D’un trait libre et généreux, il peint à l’instinct des scènes issues de son imaginaire.
Chacune le rattache à son histoire, sa vie au Cameroun, les membres de sa famille, comme Malam, son oncle sculpteur qui l’introduit dans le monde de l’art, et surtout les contes qu’il peut passer des heures à écouter : la fable des arcs-en-ciel annonçant la naissance des éléphants ou celle du crocodile Ngondo, le gardien de la forêt.
Ce folklore constitue un des socles de son vocabulaire pictural, qu’il enrichit d’une mythologie plus contemporaine, celle de l’Afrique d’aujourd’hui, avec ses Marabout et ses Ben Skin. Des visions qui continuent de l’ancrer dans ses propres souvenirs mais sont aussi porteuses d’un message social dont son œuvre est imprégnée.
En retraçant au pinceau son histoire et celle de sa famille, Enfant Précoce narre une expérience collective, celle d’un gouvernement défaillant, d’un système éducatif colonial, d’un chemin migratoire vers la France, d’une adaptation tumultueuse, d’un métier que l’on ne choisit pas mais qui permet de faire vivre des proches restés en Afrique…
Une réalité sociale qu’il ne tient en aucun cas à montrer crûment, préférant la suggérer en parlant de la vie, à la manière des contes qu’il affectionne tant. Sa peinture est politique sans être revendicative. En poète des vies difficiles, Enfant Précoce exprime son regard sur la société contemporaine, « vécue en tant que noir et étranger », à travers la lumière multicolore de sa palette et de son pays : « nous sommes un peuple solaire ».